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Photo du rédacteurFrank PUGET.

L'après Corona Virus

Dernière mise à jour : 17 nov. 2021


La pandémie occupe notre espace médiatique et notre quotidien. A juste titre certes, bien que je ne sois pas persuadé qu’un tel matraquage ne soit pas contreproductif en créant un effet de saturation. Mais, à ce stade, excepté les mesures préventives nécessaires sur le plan sanitaire et les réactions opérationnelles immédiates pour préserver l’outil de travail de notre équipe, ce ne sera pas mon sujet.

Nous sommes dans une triple crise provoquée par un élément déclencheur qui est la pandémie. Cette crise est bien sûr sanitaire, mais aussi structurelle et sera bientôt sociétale. Il convient donc, dans toutes les strates de responsabilités, politique, économique, voire spirituelle, de tenter de minimiser les impacts immédiats autant que faire se peut. Il faudra surtout se projeter sur un moyen terme vers les objectifs et les conséquences de la sortie de crise et sur un long terme, vers la remise en cause d’un modèle dépassé et l’invention d’un nouveau modèle, non seulement économique, mais également de société.


La crise du corona virus est le détonateur d’une situation issue de la fin des trente glorieuses, construite autour de la recherche exacerbée de profits et d’un individualisme qui a fait fi de cinq mille ans d’Histoire de l’humanité.

Regardons les origines, les effets de cette crise et ses conséquences.

La doxa politique et économique de nos élites, dites intellectuelles et financières plus qu’économiques est, jusqu’à ce jour, que le monde n’a plus de frontière, plus de barrière et que seule compte la loi du profit et de la jouissance immédiate.


Sur ces bases, nous avons construit, tout au moins dans nos sociétés dites « évoluées » ou « riches », un monde dans lequel les acteurs humains n’agissent plus, ils réagissent à des stimuli : publicité, création de besoins (téléphone, connexion permanente…) et induisent des besoins effrénés de consommation. Pour répondre à ces besoins artificiels, il a fallu diminuer les coûts de fabrication, faire en sorte qu’un appareil soit rapidement obsolète et non réparable, qu’on puisse être connecté H24. Le prix à payer a été que nos sociétés, pour mieux jouir de leur pouvoir d’achat, ont délégué à des administrations omnipotentes et omniprésentes, des tâches, utiles ou non, chronophages et complexifiées, éventuellement à dessein. Ces administrations ont été complaisamment portées et développées par un corps politique qui y trouve son intérêt de pouvoir et de larges compensations financières qu’il ne souhaite pas plus perdre que le corps social ne souhaite sortir du confort rassurant qui lui est procuré par l’existence de ces administrations.


Dans ce contexte, tout en criant très fort sur les fonctionnaires accusés de bien des maux, le corps social en réclame davantage dès qu’une difficulté émerge à l’horizon et demande plus d’État. Le corps politique s’en porte bien et protège « ses acquis sociaux » pour reprendre la phrase consacrée. Le corps financier surfe sur ces principes et joue de manière risquée pour des profits colossaux mais sur des bases fragiles et crie à l’aide dès que le caillou des subprimes le fait trébucher ou qu’un trader téméraire franchit le Rubicon de l’audace. Et, sitôt remis à flot par les États, les mêmes recommencent sans une once de remord ni de remise en cause. Et comme les deux précédents, poussent le corps économique à se plier à leurs canons de prix bas et de hauts profits, l’industrie non résidente, celle qui peut officier partout dans le monde, et n’a effectivement d’autres frontières que celles de son intérêt, délocalise à outrance, concentre sur des espaces restreints ses outils de production pour optimiser ses profits.


Dans cette occurrence, tout va bien pour tout le monde. Le corps social qui trouve à bas prix ce qui contente ses envies et le fait rêver. Le corps politique qui perdure et se nourrit à bon compte et grassement de l’apathie du corps social et fait échange de bons procédés avec les financiers et les industries qui pour gagner toujours plus, toujours plus vite, ont superbement ignoré la règle de base de l’investissement boursier ; un tiers de risque à forte rentabilité, un tiers de risque et de gains mesurés, un tiers de valeurs de repli. Tout cela jusqu’au jour où…un petit virus met un énorme grain de sable dans la machine et provoque, non pas une crise financière comme en 2008, mais une crise structurelle qui se décline en cascade et peut aboutir à une crise sociale et sécuritaire lourde.

La crise est structurelle car elle touche à la fois nos outils de production, nos chaînes logistiques et, par répercussion, les capacités des consommateurs à acheter les biens, que ces consommateurs soient des entreprises (matières premières, composants semi-finis…) ou des particuliers (biens de consommation et services). Une part importante de l’économie ralentit et peut s’arrêter car sans produits, les entreprises ne fabriquent plus et ne vendent plus. Les satellites, prestataires et sous-traitants ne reçoivent plus de commandes et les salariés sont au chômage. CQFD, même s’il reste de l’argent, il se concentre sur les biens indispensables … à condition qu’il y ait encore quelqu’un pour les transporter et les mettre en rayon.


Les États et les banques centrales ayant eu une politique de taux très bas, n’ont pas de marge de manœuvre, ni de réserve suffisante. Un peu comme deux voitures qui roulent à leur vitesse maximum et se suivent à deux mètres. Au moindre incident, les deux voitures se percutent. Cette fois-ci, une action de soutien financier ne suffira pas.

Elle est d’autant plus structurelle qu’il s’agit en premier lieu d’autosuffisance et de souveraineté pour les États, même si l’on veut bien, en restant optimiste, considérer l’Europe comme un État. Je sais que pour certaines pseudo-élites intellectuelles ces concepts, comme ceux de Patrie et de frontières sont devenus des gros mots, mais je crois fermement qu’il faut avoir le courage d’appeler un chat un chat. A l’heure où croissent les replis identitaires, communautaristes, où deux villages du bout du monde sont capables d’en venir aux mains pour un match de foot de sixième division, il faut reconsidérer radicalement le concept d’universalité et admettre que les peuples ont besoin de repères et de stabilité.

Ce qui veut dire qu’il nous faut revoir notre façon de conduire la politique des États-nations à l’aune de l’intérêt de cette même nation et des femmes et des hommes qui les composent. Il faut reconsidérer la manière de développer les entreprises en privilégiant une vision entrepreneuriale à une vision exclusivement financière et repositionner la finance à son rang d’outil support et non pas d’aboutissement absolu. Il faut enfin, et ce n’est pas le moindre défi, que le corps social, la population, comprenne et admette qu’il faut changer ses habitudes et réapprendre à vivre différemment.

La gestion de la crise est en cours. Laissons donc faire ceux qui sont à la barre. Ils font face à l’immédiat et à l’urgence ; c’est leur rôle. Faisons en sorte qu’ils aient, quels qu’ils soient, les moyens de limiter la casse. Mais il faut impérativement nous dire que cette crise, quelle que soit son issue, aura tôt ou tard une fin et qu’au même titre qu’un décès dans une famille, après le deuil la vie continue. Nous avons donc le devoir de préparer d’une part la sortie de crise et la reprise de l’activité à une échéance que j’espère la plus courte possible et d’autre part, de concevoir une nouvelle vision stratégique.

Il serait intéressant que, dans les entreprises et les administrations, on puisse mobiliser les personnes exerçant une responsabilité à différents niveaux, aux parcours et aux expériences diversifiées, ayant une bonne maîtrise de leur secteur et une vision iconoclaste. Que ces personnes soient d’abord déconnectées des contraintes de la gestion immédiate de la crise et qu’elles puissent être libres de leurs pensées et faire preuve d’inventivité sans craindre de braver les tabous de la doxa officielle … j’allais dire de la dictature intellectuelle que fait peser une infime minorité sur la pensée de nos contemporains. Leur rôle sera de chercher des solutions de reprise mais surtout, de restructuration, de repositionnement et d’une autre manière de gérer, d’administrer, en clair pour permettre à nos dirigeants, d’exercer leur rôle de commandement dans toute l’acceptation du terme.

Demain, il nous faudra repenser le rôle de l’État, qu’il ait une vision stratégique, centrée sur le pays, même au sens large. Qu’il soit recentré pour réduire le poids et la complexité de l’administration à qui l’on redonnera ses lettres de noblesse et que l’on sortira du rôle de paperassier tatillon qu’on l’oblige à assumer.

Il sera impératif que les entrepreneurs et les ingénieurs reprennent en main les rênes des entreprises et que soit redéfinie la notion de rentabilité comme devra l’être celle de la valeur du travail, manuel comme intellectuel. Retrouver le sens de « la belle ouvrage » comme le disaient nos anciens.

Enfin, il nous faudra repenser notre modèle sociétal et accepter de sortir de notre confort et trouver un projet de société qui nous porte au-delà du simple consumérisme. Le défi est immense, j’en suis conscient. Nous sommes à un de ces tournants de l’Histoire qu’il faut prendre ou se diluer progressivement dans les décennies à venir et disparaître au profit d’autres plus dynamiques et innovants. Nous sommes face à une rupture. Faisons en sorte, pour reprendre le titre d’un ouvrage prémonitoire de Patrick Lagadec, que ce soit une « rupture créatrice[1] ».

Frank Puget

[1] Ruptures créatrices – Les Échos éditions (2000) – éditions d’organisation.

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